FrissonsDe Magali Mougel et Johanny Bert

 

L'histoire

Entre ses parents, sa maison, sa chambre et ses jouets, Anis s’est construit un cocon douillet. Jusqu’à ce qu’une ombre effrayante se glisse dans ce tableau parfait. Non pas un dragon à cinq têtes, un loup borgne ou une créature gloutonne cachée dans le placard... mais l’arrivée prochaine d’un frère ou d’une sœur dans la famille. Partager son terrain de jeu avec un bébé lui pose beaucoup de questions. Et lorsqu’il découvre que son frère a le même âge que lui, les interrogations d’Anis se multiplient. Est-ce que l’on doit partager sa chambre, ses jouets, tout partager en deux ? La tête de la barbie pour lui et moi les jambes ? Est-ce que l’on doit partager aussi l’amour des parents ?

Le projet

Après Elle pas Princesse, Lui pas Héros, l’autrice Magali Mougel et le metteur en scène Johanny Bert se retrouvent pour créer un spectacle immersif mélangeant le théâtre et la danse. À travers un dispositif donnant à entendre les pensées intérieures des personnages, Frissons plongera les plus jeunes spectateurs dans le monde d’Anis, de la toute première rencontre avec son frère adoptif jusqu’à la naissance de leur amitié, en passant par leurs découvertes et leurs victoires... sur la peur de l’autre. Le public sera installé dans un espace trifrontal pour mieux vivre chaque situation au plus proche des deux interprètes et de leurs jeux dansés. Ils exploreront leurs paysages intérieurs tissés de sensations et de mots, leur rapport au monde peu à peu transformé, et leurs frissons... à partager.

Ce spectacle fera l'objet de 4 représentations scolaires le 19 avril et 21 avril (10h et 14h)

Entretien avec Magali Mougel et Johanny Bert

 Comment est né le projet de Frissons ?
Magali Mougel : Le Théâtre de Sartrouville m’a invitée à écrire un spectacle pour les enfants dès 4 ans. C’est une tranche d’âge pour laquelle j’écris pour la première fois, et que je connais peu. Quand je me suis demandé ce qui pourrait servir de point de départ à la création d’une histoire, j’ai pensé assez rapidement au thème de la peur, avec l’envie de faire le pari du texte pour placer la dimension narrative au premier plan. La fiction est en effet très présente dans les albums jeunesse, mais beaucoup moins dans les spectacles pour les petits. Je savais aussi que je ne voulais pas faire ce spectacle seule. Il se trouve qu’avec Johanny, nous souhaitions poursuivre l’aventure après Elle pas Princesse, Lui pas Héros, et que nous étions tous les deux disponibles en même temps. La suite du projet nous l’avons donc tissée ensemble.

Johanny Bert : J’ai fait plusieurs spectacles accessibles au jeune public en tant que comédien ou metteur en scène, et je constate que les propositions pour les petits privilégient une entrée par l’image et les sensations. on a tendance à créer d’abord un univers, un théâtre d’images, la question du texte n’arrivant que dans un second temps. Dans Frissons, le texte est le moteur de tout ce que l’on va créer ensuite. En cela je trouvais ce projet excitant. Magali et moi avions envie de retravailler ensemble et l’équipe du CDN nous a proposé de créer une collaboration qui nous place à un endroit de recherche différent. Magali voulait écrire pour deux hommes et sur la peur. De mon côté je sentais que j’avais envie de déplacer le procédé d’écriture et de parole. Et si nous écrivions les pensées des personnages, la petite voix intérieure qui les guident ? Et si les corps des personnages ne racontaient pas exactement ce qu’ils pensent ? Nous voilà à imaginer un spectacle pour deux danseurs dont les pensées fourmillent et s’échappent d’eux.

En quoi cette approche a-t-elle modifié ta démarche d’écriture ?
M. M. : C’est une écriture qui pose des questions très concrètes d’énonciation et de théâtralité : qui parle, de quel endroit, à qui ? J’avais écrit au début un texte extrêmement théâtral, qui pouvait fonctionner avec des acteurs mais qui ne s’adaptait pas à notre nouvelle approche. Pour que le spectateur se sente concerné, il faut en effet qu’on s’adresse à lui, or un personnage qui délivre sa pensée le fait a priori pour lui-même... C’est presque anti-théâtral. Aborder l’écriture depuis ce point de vue intime m’emmenait vers quelque chose qui ressemblait davantage au récit ou au roman. Mais pour que cela fonctionne au plateau, il fallait définir le statut spécifique de cette parole : qu’est-ce qui déclencherait la réflexion du personnage ? Comment le public aurait concrètement accès à cette voix intérieure ? Comment raconter cette histoire sans narrateur ? Autant de questions complexes à résoudre lorsqu’on est seule à sa table ! J’ai donc rapidement eu besoin de travailler en voyant les choses se faire au plateau. Lors de notre première phase de recherche avec Johanny, on a testé par exemple la possibilité de placer des enceintes directement sur le corps des danseurs. C’est un principe que j’ai ensuite cherché à traduire par le biais de l’écriture. Le fait de commencer à travailler avec les interprètes a également fait bouger les lignes, en questionnant la manière dont la danse pourrait s’écrire en réponse au texte, sans tomber dans l’illustration. L’envie nous est venue que Yann Raballand et Adrien Spone ne soient pas totalement contraints, qu’ils puissent être tous les deux auteurs de leur propre danse. C’est une démarche qui a replacé l’écriture dans une approche collective.

Quelle est l’histoire racontée dans le spectacle ?
J. B. : C’est l’histoire d’un petit garçon, Anis, à qui ses parents posent une question qui lui semble saugrenue. « Cela ne te dirait pas d’avoir un petit frère ou une petite sœur ? » Il n’y avait jamais vraiment pensé. Il se met à imaginer l’arrivée de ce bébé, avec tout ce que cela peut générer d’appréhension : est-ce que ses parents vont continuer à s’occuper de lui ? Est-ce qu’il lui faudra partager tous ses jouets ? Est-ce que l’amour devra lui aussi être partagé ? Le jour où cet enfant arrive, Anis découvre que ce bébé... a le même âge que lui. « Certains enfants n’ont pas de famille et nous avons la place pour deux enfants », lui disent ses parents. Nous allons alors suivre le parcours d’Anis qui va le mener jusqu’aux premiers temps de frissons, de découverte, d’amitié avec ce frère, puis jusqu’à la fusion joyeuse entre les deux garçons.

M. M. : Anis va être confronté à cette peur de l’autre qui engendre la jalousie et à la crainte du rejet. Quand on éprouve de la peur, il est parfois difficile de définir ce qui la déclenche, les contours sont flous. Mais en y regardant de plus près, on constate que cette émotion ne repose pas sur des éléments irréels ; elle raconte la difficulté de se confronter au monde, ce monde qui percute et déplace quelque chose à l’intérieur de l’individu. on a souvent peur de l’inconnu, de ce qui change, de ce qui disparait, etc. Puis vient le temps de considérer l’autre ou l’événement, et les choses se reconfigurent. Dans cette histoire j’ai voulu relier la peur à une question plus vaste : celle de notre capacité à accueillir une personne que l’on ne connait pas, qu’il s’agisse d’ouvrir les portes de sa maison, de sa famille ou de faire la place au nouveau ou à la nouvelle dans la classe. Ce n’est pas une question que l’on doit simplement se poser quand on est adulte. Elle recouvre une dimension politique que l’on peut je crois tout à fait aborder avec des enfants.

J. B. : L’angle choisi par Magali permet aussi d’aborder la délicatesse de la rencontre avec l’autre, aussi bien du point du vue d’Anis que de son frère. Il peut y avoir de l’appréhension, quand on ne sait pas ce que l’autre attend et que l’on craint de ne pas être à la hauteur, mais aussi de l’excitation quand on fait quelque chose ensemble pour la première fois. Le titre évoque d’ailleurs toute cette palette de sensations, des « frissons » d’inquiétude du début jusqu’à ceux de la joie et du plaisir d’avoir un frère avec qui partager plein d’aventures, de jeux, de défis.

Le fait de vous adresser à des enfants de 4 ans vous amène-t-il à vous soucier de leurs capacités de compréhension ?

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J.B. : Je crois qu’il se passe plein de choses dans la tête d’un enfant de 4 ans, tout va très vite, les images fusent ! Son esprit est tout aussi vif et actif que celui d’un adulte. Il n’est bien sûr pas constitué pareil car il n’a pas vécu les mêmes expériences, mais je pense que son rapport à l’imaginaire est bien plus présent. Dans la découverte de ce qui l’entoure, dans sa manière d’appréhender ce que grandir signifie pour lui, il est porteur de questionnements presque philosophiques. Et son monde intérieur est beaucoup plus vaste que ce qu’il est capable de verbaliser à l’extérieur. En im- mergeant le public dans les pensées des personnages, nous avons l’intention de jouer avec cette part de mystère. Et nous allons aussi placer le jeune spectateur à un endroit d’exigence, en lui faisant confiance dans sa capacité à comprendre tout cela et à s’en amuser.

M. M. : Lorsqu’on écrit, se poser la question d’une catégorie d’âge peut être extrêmement réducteur. Cette question m’apparait davantage bloquante que motrice. Quand on propose à un enfant de lui raconter une histoire il est tout de suite partant et, même s’il peut signifier à certains moments qu’elle est difficile, son plaisir d’écouter prend le pas sur la complexité. Les enfants ont un rapport au monde beaucoup plus philosophique que nous, adultes. La dimension normative de l’école et de la vie nous coupe à un moment donné de cette ouverture, de cette liberté-là. En cela, l’enjeu d’écrire la pensée intérieure d’Anis a été très intéressant pour moi, parce qu’il m’a obligée à me mettre à la hauteur du personnage et à regarder cette histoire avec ses yeux.

J. B. : oui, d’autant plus que le spectacle aborde un sujet qui peut être familier pour certains enfants, mais nouveau pour d’autres. À notre échelle, on peut donc imaginer ce que les enfants ont déjà vécu, ce qu’ils comprennent ou ce qui les intrigue pour, humblement, les élever vers d’autres questions, d’autres sujets, d’autres ouvertures.

Comment les deux registres, celui de l’action à travers la danse et celui de la pensée intérieure, vont-ils s’articuler dans le spectacle ?
J.B. : Parfois les danseurs vont ressentir, traduire et interpréter ce qui émane des pensées des personnages, parfois leurs corps raconteront autre chose, les pensées étant en suspension. Cela ne sera pas systématique. Leurs jeux dansés et leurs chorégraphies ne seront pas forcément figuratifs, mais ils seront toujours motivés par une situation vécue ou une sensation. C’est d’ailleurs cette idée de traduire leurs pensées intérieures qui nous a conduits jusqu’à la danse. Nous avons choisi deux interprètes, auteurs de leur danse et porteurs d’esthétiques très différentes. Leurs deux corps sont déjà deux poèmes délicats. Magali écrit aussi en s’inspirant de leur personnalité.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur le dispositif scénique ?

J. B. : on a cherché un dispositif sonore autonome qui puisse se placer sur chaque danseur pour que la voix vienne du corps. on entendra la voix intérieure des personnages, mais aussi leur environnement : les bruits présents dans les lieux où ils se trouvent, les personnes qui les entourent...Tout cela va per- mettre de créer différents plans sonores qui vont être spatialisés. Les spectateurs seront installés dans un espace trifrontal et leur perception change- ra selon que les danseurs évolueront face à eux ou de dos, qu’ils seront en proximité ou éloignés. on va donc jouer à la fois avec ces effets d’amplitude visuelle et l’immersion active dans un environnement sonore en trois dimensions.
Vos parcours personnels respectifs depuis Elle pas Princesse, Lui par Héros ont-ils transformé votre manière de travailler ensemble ?

M. M. : Entre temps, on a grandi et vieilli ! Plus sérieusement, je retrouve avec Johanny une façon de travailler que j’ai appréciée, et une simplicité dans la relation. L’écriture de plateau entraine parfois des modifications de dernière minute, ce qui oblige à sortir de sa zone de confort et je me sens suffisamment à l’aise pour cela. Je crois que je ne me serais pas lancée dans ce projet sans lui.

J. B. : Au-delà du plaisir de se retrouver, il y a un rapport de confiance, un langage commun qui est déjà là avec Magali, et c’est très agréable. Entreprendre un deuxième projet ensemble est aussi plus compliqué, d’autant que notre premier spectacle a reçu un bon accueil du public. Cela nous incite à travailler différemment pour échapper à la tentation de répéter quelque chose et aller un peu plus loin. C’est possible grâce à la confiance qu’on a l’un avec l’autre. Comme on connait nos aspirations respectives, on ose s’envoyer des petits signaux pour se pousser mutuellement à nous renouveler.

Comment abordez-vous l’adresse à la jeunesse dans vos parcours artistiques ?
J. B. : Pour moi, cela a toujours été présent et continuera de l’être. un peu comme Anis, je me posais plein de questions quand j’étais enfant et je n’osais pas forcément les partager avec mes parents. Voir des spectacles me connectait avec une forme d’ex- pression et de liberté, une manière de comprendre le monde en me créant un espace de réflexion et d’imaginaire supplémentaire. J’ai envie que les enfants d’aujourd’hui puissent aussi nouer cette relation avec le spectacle vivant. Du fait de la présence des interprètes sur scène, le spectacle installe un rapport à l’émotion et à la notion de véracité que le numérique ne pourra, je crois, jamais détrôner. J’alterne la création de spectacles à voir en famille ou pour les adultes, mais mon exigence de travail est la même, voire plus prononcée quand je crée pour les enfants, car je ressens une responsabilité plus grande. Qu’est- ce qu’on dit ? Comment on fait entrer les enfants dans le spectacle ? Comment ils en sortent, et qu’est- ce qu’ils vont en garder ? J’ai envie qu’ils aient plein de questions en tête et de sensations à partager avec leurs copains et leurs parents. C’est un désir qui est peut-être utopique, mais j’y crois beaucoup !
M.M.: De mon côté, je n’aurais pas forcément écrit pour la jeunesse si on ne m’y avait pas invitée. Aujourd’hui, je ressens une véritable envie d’écrire des choses spécifiquement pour les enfants, parce que je me dis que lorsque j’étais petite, j’aurais aimé qu’on me raconte telle histoire ou qu’on me parle de tel sujet. Cela part d’un désir de partager quelque chose avec eux.

J. B : odyssées en Yvelines est aussi un projet singulier et engagé. On nous donne en quelque sorte « les clés du festival », avec la possibilité de présenter tout de suite notre création devant un large public d’enfants et d’adultes. C’est très rare qu’une structure fasse ainsi confiance aux artistes et assume cette part de risque. C’est ça qui me passionne dans ce métier !
M. M. : Effectivement, organiser un festival hors-les-murs est extrêmement militant. Pour nous, c’est une chance de proposer un spectacle sans autre enjeu que la rencontre immédiate avec le public. La petite forme est géniale pour ça.

Distribution

crédit photo JM Lobbé

production Théâtre de Sartrouville et des Yvelines–CDN texte édité aux Éditions Espaces 34
spectacle créé dans le cadre d’Odyssées en Yvelines, festival de création conçu par
le Théâtre de Sartrouville–CDN, en partenariat avec le Conseil départemental des Yvelines

Représentations

Théâtre de l'Usine, Saint-Céré
  • mercredi 20 avril 2022 10h00
Tarifs

Tarif D placement libre
Plein 8€
Découverte / réduit 6€
Passion / réduit + / jeune 5€

Tarif découverte / réduit : abonnés découverte, groupe à partir de 10 personnes, comités d'entreprises.
Tarif passion / réduit + : abonnés passion, demandeurs d'emploi, intermittents du spectacle, personnes en situation de handicap.
Tarif Jeunes : moins de 18 ans et étudiants de moins de 25 ans.

Abonnement Découverte : abonnement nominatif 4 spectacles minimum. Cet abonnement vous donne droit au tarif découverte.
Abonnement Passion : abonnement nominatif 8 spectacles minimum. Cet abonnement vous donne droit au tarif passion.
Le + de l’abonnement Passion : faites découvrir le Théâtre de l’Usine à un de vos ami, il profite du tarif réduit sur un des spectacles de votre abonnement !

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