Une discussion sur le métier d'actrice ou d'acteur entre Judith Magre et Pierre Notte.
Le texte
Un écrivain rencontre une actrice. Il veut écrire un livre, faire son portrait, il l’interroge. Elle s’y oppose, elle n’a rien à dire, ne veut rien raconter, impossible pour elle de définir ce qu’est ce métier-là. Jouer, interpréter, incarner. Une actrice, c’est leur dialogue, leur rencontre, leur opposition. Il veut la faire parler, les gens qu’elle a connus, son travail, son parcours, sa carrière. Elle veut vivre au présent, dans l’immédiat, ici et maintenant. Elle refuse.
Philippe Minyana écrit pour Judith Magre et Pierre Notte un échange incisif, vif, rapide et tranché, mordant et drôle, ponctué par trois chansons, interprétées sur scène par Marie Notte, soeur de Pierre et interprète de ses cabarets et pièces, (Les Couteaux dans le dos, J’existe foutez-moi la paix…).
Philippe Minyana s’appuie sur ses propres rencontres avec Judith Magre et les récits de la dame, ses rencontres avec Aragon, Sartre et Beauvoir, Céline ou Giacometti. Il s’appuie sur son amitié avec Pierre Notte. Leur passé commun à tous les trois prend vie et forme sur le plateau.
Une actrice dresse le portrait d’une artiste immense, comédienne dont la vie intense a été dévolue aux textes, aux mots, de Claudel, Giraudoux, Eschyle ou Tchekhov, dans un savoureux dialogue. Leur complicité d’interprètes (Judith a joué Et l’enfant sur le loup de Pierre Notte avec lui, et interprété plusieurs fois les textes de Minyana sous sa direction) se fait tangible sur la scène devant les spectateurs pris à partie.
La mise en scène
Judith Magre joue d’abord André, monologue de Philippe Minyana. Pierre Notte, au piano, l’accompagne. Musiques en ponctuations. Puis l’échange commence, ils s’affrontent. Trois chaises noires, un guéridon, une coupe ou deux de champagne, une cigarette, et la parole libre, poétique, de Philippe Minyana qui oppose l’écrivain journaliste à l’immense star.
Lumières sobres, mais couleurs tranchées. Ils s’apprivoisent, en trois parties, qu’entrecoupent trois interprétations de morceaux musicaux. C’est Marie Notte, chanteuse et comédienne, qui vient interpréter Purcell, la mort de Didon, You don’t own me, chanson phare de l’émancipation féminine, un morceau intitulé « La comédie » écrit et composé par son frère Pierre qui l’accompagne au piano.
La mise en scène se concentre sur le rythme de l’échange, sa vivacité, sa nervosité.
Elle se réfère au « bord plateau », rencontre des interprètes avec leur public : on échange, on cherche à comprendre comment ça marche, un acteur. Comment ça vit, comment ça pense et comment ça rêve. On boit, on parle, on s’affronte, on chante, jusqu’à ce que les souvenirs et les amitiés renaissent, revivent, pour construire au bout du compte une belle rencontre entre chacun, entre les acteurs, l’écrivain, la chanteuse, les interprètes et leur public.
Extrait
« Pierre Notte. Que diriez-vous à un jeune acteur ?
Judith Magre. Rien. Je n’ai pas de conseil à donner. Ah si qu’il fasse de la menuiserie ou de la plomberie en voilà des vrais métiers. Mais cela dit vous savez être sur scène c’est aussi s’engager à fond on répète la journée on joue le soir on s’épuise mais bon on l’a voulu c’est casse-gueule mais c’est excitant non ?
Pierre Notte. Qu’est-ce que c’est Judith être un acteur être une actrice ?
Judith Magre. Est-ce que quelqu’un sait ce que c’est ? je ne sais pas ce que c’est. C’est apprendre un texte savoir par cœur tout ce qu’on dit et savoir ce qu’on fait et pourquoi on le fait et comment on le fait. Et puis surtout c’est tout oublier au moment où on le fait. C’est être là et puis c’est tout. C’est n’être plus personne tout en étant là. Personne n’a jamais su répondre à cette question et il fallait que vous me tombiez dessus »
Distribution
- Texte : Philippe Minyana
- Mise en scène et jeu : Pierre Notte
- Jeu : Judith Magre
- Chant : Marie Notte
Production En votre compagnie
Presse
Judith Magre, qui ne quitte pas nos scènes depuis les années 50 (avec brio, passant de Giraudoux à Duras), ne joue pas à être un monument ni à être ce que les Japonais appellent un « trésor vivant ». N’empêche, elle fait l’objet d’une pièce sur elle-même, et elle en est l’interprète principale ! Philippe Minyana lui a écrit une pièce d’autant plus sur mesures qu’il l’a longuement interrogée avant d’écrire un texte précisément en forme d’interview. C’est la manière de Minyana, qu’il a le plus souvent pratiquée avec des anonymes : il fait parler des gens, puis donne la forme qu’il veut aux propos récoltés. En composant son texte sur Judith Magre, pour que l’objet fini n’ait rien d’un hommage compassé, l’auteur s’est permis quelques facéties en mêlant un peu de faux avec le vrai, qui reste l’essentiel des confidences. A aucun moment, il ne fait pontifier l’actrice. Son personnage ouvre des portes, mais en referme beaucoup. L’intervieweur prétend qu’il va écrire un livre sur elle. Elle en rit et mène son questionneur vers des domaines peu sérieux où l’on blague plus qu’on ne se révèle. L’ensemble reconstitue quand même, en savants pointillés, une bonne part de la vie privée et professionnelle de Judith Magre : ses rencontres avec Marcel Aymé, Jean-Paul Sartre – qui la jugeait semblable à Néfertiti -, Simone de Beauvoir, Giacometti, Aragon…
Le principe de fuir l’esprit de sérieux se retrouve dans la distribution et dans la mise en scène. Pierre Notte, qui a organisé le spectacle, a intégré une troisième personne, Marie Notte, qui intervient comme chanteuse (elle chante Purcell et Notte, avec Notte au piano !) et aussi comme double de Judith, comme lutin, comme fantôme. Notte joue lui-même l’intervieweur comme un journaliste à qui on la fait pas mais se laisse prendre au charme de cette star anti-star. Ils sont drôles, les deux Notte, sœur et frère. Quant à Judith Magre, parvient-elle à incarner Judith Magre ? Elle réussit à être à la fois elle-même et une autre, une individualité discrètement rebelle et un personnage qui offre d’abord au public son rire et son refus de tout discours prétentieux. Après avoir joué Duras (L’Amante anglaise), Magre joue Magre. Comme malgré elle. En s’amusant, en nous amusant. Ce n’en est pas moins un moment historique.
WebThéâtre - Gilles Costaz - avril 2018