Brand, une Échappéed'après le texte d'Henrik Ibsen

« Et sans doute notre temps... préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être... Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré. » Feuerbach (Préface à la deuxième édition de L'Essence du christianisme)  

Nous sommes partis du texte d’Ibsen et nous nous en sommes éloignés, énormément.

La foi religieuse de Brand - le personnage principal - n’est plus qu’un écho lointain.

Au point qu’il ne reste aujourd’hui que le nom des personnages : Brand, Le Bailli – figure du pouvoir local - ou encore Einar le jeune peintre académique…

Ceux d’Ibsen et ceux qui s’agitent ici s’éclairent et nouent, je l’espère, quelques correspondances secrètes. Reste seulement en commun une volonté et un idéalisme qui cherchent à relier le mot à la chose, l’acte à la parole, et qui se heurtent violemment au réel.

Ici, Brand erre un temps avant de tenter ce qu’il appelle abstraitement « autre chose ». Un retour à la terre. Comme si celle-ci contenait de l’indubitable. Un socle sur lequel s’appuyer.

Des initiatives personnelles ou collectives ont déjà fait exister cette tentation. Thoreau, Giono, Jünger - entre autres - prêtèrent leurs voix à ce concert.

Mais plus généralement, au-delà de la nature de cette tentation, l’utopie est là.

Et la possibilité de cette utopie est peut-être le centre de ce texte.

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Pour aller plus loin: Note d'intention de Benjamin Moreau

Partir d’une œuvre aussi forte que le Brand d’Ibsen est une gageure.

Pendant les deux premières années de son exil en Italie, Ibsen va écrire deux pièces majeures - deux chefs d’œuvres - à juste un an d’intervalle, qui sont deux manières de tenir l’existence, et aussi deux critiques : Brand et Peer Gynt. La première présente un pasteur qui trouve que ses contemporains ont une foi édulcorée, pleine de lâcheté et de compromis (on pense à Kierkegaard, à l’Ordet de Kaj Munk), et il tient par-dessus tout à relier la parole et l’acte. C’est une trajectoire rectiligne, intransigeante (son adage est « Tout ou rien »).

Peer Gynt, à l’inverse, montre un homme qui va errer toute sa vie, faire continuellement des détours, fuir, se perdre au bout du monde dans un épuisement d’expériences (un passage très connu y compare la vie à un oignon qu’on n’a jamais fini d’éplucher et où chaque peau semble une vérité). Pièce extraordinaire qui se déroule sur toute une vie.

Même s’il comparait son personnage a un scarabée (il en a tenu un sous une cloche de verre tout le long de la rédaction de son Brand), Ibsen disait que c’était la meilleure partie de lui-même ; et il voyait a contrario Peer Gynt comme un bouffon, une sorte de contre-modèle.

C’est étonnant mais la postérité a inversé la lecture de leur auteur : aujourd’hui Brand est très souvent, trop rapidement, vu comme un simple fanatique, et Peer Gynt nous paraît si proche.

Mais ce qui est intéressant, c’est qu’un homme produise avec autant de force, à un moment de sa vie, deux œuvres en apparence si dissemblables, y compris dans la forme, dans la langue, qui portent aussi en elle ses deux visions différentes.

Dans le Brand d’Ibsen un homme, par idéalisme, va pousser l’exigence jusqu’à l’absurde. En réclamant tout de ses fidèles, le jour de l’inauguration d’une église qu’il a entièrement fait construire, il fuit, emmenant avec lui une troupe de fidèles dans la montagne… Il pense que la vérité n’est pas - ne peut plus être - dans la société des hommes. Il finira seul, lâché par tous, emporté par une avalanche. C’est un homme que sa passion détruit ; il est son propre ennemi. Sa posture et son « indignation » sont au final intenable.

La pièce s’articule et avance autour des scènes d’affrontement entre le bailli - sorte de maire - et Brand, entre le politique et le spirituel. Brand disposant d’un héritage et, au début, de la ferveur populaire, il tient tête au bailli qui se rangera derrière lui seulement par pragmatisme.

Cette lecture m’a profondément marqué et par là Brand est devenu pour moi un pré - texte. Je veux dire qu’un livre sort toujours d’un autre. La pièce d’Ibsen se suffit à elle-même, il n’y a même pas à le dire. Il ne s’agissait donc pas d’actualiser, de « moderniser » le texte de Brand… Mais la matière qui était en œuvre à l’intérieur s’est agitée. Je me suis mis à me raconter quelque chose, à rêver quelque chose qui s’échappait du cadre au point que la nécessité de l’écrire s’est imposée. Je ne l’ai pas écris seul  mais avec des acteurs, dans un incessant aller-retour. Le texte a été écrit pour eux, pour leurs respirations… La mise en scène a aussi éclairé ce travail.

Ce « quelque chose » qui s’agitait se jouait avant tout autour de la figure du bailli ; la loi, le politique qu’il représente, prennent dans cette nouvelle pièce une place beaucoup plus grande. Le bailli en devient le pivot, voire la figure centrale.

Une autre différence majeure est dans le personnage de Brand : celui-ci est sur le point, imagine-t-on, de finaliser un projet utopique – comme Proudhon qui pensait qu’un idéal se propagerait de lui-même, par sa seule force, du moment qu’on le réalisait au moins une seule fois… Mais contrairement au Brand d’Ibsen, l’arrêt fatal est donné par le bailli, figure complexe qui garde le dernier mot de la pièce. Il n’y a pas eut le temps pour que le scarabée se pique…

Ces deux personnages se sont donc émancipés et m’ont racontés, au final, une histoire au-delà de celle d’Ibsen, quelque chose de très différent de la pièce originale. J’ai écrit d’abord comme un lecteur passionné d’Ibsen. Le texte qui est sorti de cette lecture n’a pas un seul mot commun avec l’original, seules demeure cet héritage que reçoit Brand, et des correspondances « secrètes » avec les personnages d’Ibsen.

Je commençais en parlant de Peer Gynt, en reliant Brand à Peer Gynt car il y a un rapport à la vérité qui est questionné par Ibsen dans le temps où il écrit ses deux pièces, et c’est une chose qu’on retrouve avec obsession dans toute la suite de son œuvre. Qui prétend à la vérité, qui prétend la détenir. Il y en a bien qui agisse… (Et pour Peer Gynt ne pas agir crée le rêve)

Les scènes du Bailli et de Brand sont devenues centrales dans ma pièce car elles sont le lieu de dispute de cette vérité. En quelque sorte Peer Gynt, cet indécis, continue à errer quelque part dans ces scènes de disputes. Ces deux grandes œuvres avaient déjà un dialogue discrètement imbriquées.

Distribution

Coproduction Le Tricycle Grenoble. Avec le soutien de la Ville de Grenoble et du Conseil Général de l’Isère.

Représentations

Théâtre Démontable
  • jeudi 25 juillet 2013 21h45
  • lundi 29 juillet 2013 21h45
  • jeudi 01 août 2013 21h45
Tarifs

série unique
Plein18
Réduit/Bleu14
Vert11
Moins de 25 ans8

Abonnement Bleu : de 4 à 7 spectacles différents par personne, dont au moins deux spectacles de la catégorie A
Abonnement Vert : à partir de 8 spectacles différents par personne.

Tarif découverte / réduit : abonnés découverte, groupe à partir de 10 personnes, comités d'entreprises.
Tarif passion / réduit + : abonnés passion, demandeurs d'emploi, intermittents du spectacle, personnes en situation de handicap.
Tarif Jeunes : moins de 18 ans et étudiants de moins de 25 ans.

Abonnement Découverte : abonnement nominatif 4 spectacles minimum. Cet abonnement vous donne droit au tarif découverte.
Abonnement Passion : abonnement nominatif 8 spectacles minimum. Cet abonnement vous donne droit au tarif passion.
Le + de l’abonnement Passion : faites découvrir le Théâtre de l’Usine à un de vos ami, il profite du tarif réduit sur un des spectacles de votre abonnement !

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