La pièce
Steven Berkoff publie Kvetch en 1986 et s’exerce au genre du récit, récit dramatique qui donne à cette pièce une narration particulière, un relief stylistique et une étrangeté singulière.
Le mari, la femme, la belle-mère, l’ami, le client : cinq petits bourgeois ordinaires sont croqués à vif dans la comédie de la vie quotidienne, dans sa banalité et sa routine. Derrière les situations les plus normales, l’auteur s’interroge : à quoi pensent-ils lorsqu’ils discutent, lorsqu’ils travaillent, lorsqu’ils font l’amour? Berkoff choisit de nous faire entendre, à côté des paroles prononcées, leur envers, « les mots à l’arrière de nos têtes », tout ce qui grouille derrière les dialogues : les frustrations et les envies, les haines et les fantasmes. Sous les masques sociaux, nous découvrons alors les « Kvetch » : ces arrière-pensées parasites qui assaillent nos esprits, qui nous titillent, et font nos petits enfers quotidiens. Nous voici projetés à l’intérieur des crânes des personnages, auditeurs de leurs angoisses et de leurs désirs inavouables, témoins de tentatives ridicules pour faire bonne figure.
J’ai des Kvetchs ! / Kvetch par WebTV_du_Rond-Point
Pourquoi Kvetch ?
Le monde moderne qui nous contraint à toujours plus de compétitivité, de désir de perfection, de peur de faillir, accentue notre perte de confiance et accroît la sensation de mystère et d’angoisse face au jugement d’autrui. « Que pense-t-il là maintenant quand je lui dis ça ? Me juge-t-il ? » sont des questions qui traversent l’esprit de chacun... Steven Berkoff appuie le trait et stigmatise nos peurs avec humour.
Les figures auxquelles il donne vie dans Kvetch sont comme transparentes : elles tiennent en parallèle un double discours et nous donnent à entendre après chaque parole dite à autrui, leurs pensées intérieures. Et l’on découvre des êtres irrésistiblement comiques car asphyxiés par les interdits, hilarants parce qu’engoncés dans leur peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur, de ne pas plaire. Ils ne retrouvent une respiration vacillante que dans leurs questionnements intérieurs.
L’homme peut-il faire taire ce « gendarme intérieur » qui s’apparente au surmoi freudien, lentement et savamment édifié par l’éducation et la vie en société ? Quelle est la part de liberté de chacun face à son désir ? Chez Berkoff, l’homme est terriblement faible et incroyablement fort. Cela confère à sa vision du monde une force réjouissante et tonique, qui nous renvoie à nos responsabilités d’homme et de femme acteurs de nos destins.
Mélange baroque d'argot, de langage ordurier et de pure poésie, la langue de Berkoff explose d'érotisme, de cruauté et de lyrisme. Plus qu'une simple provocation, cette langue racle et fait exploser joyeusement nos préjugés. Par le rire, la pièce nous incite à nous rendre maître de tout ce qui dans nos vies renonce, cède à la morale, à la norme et à l'hypocrisie, à tout ce qui se résigne. C’est peut-être un curieux hymne à la vulnérabilité de l’homme.
Pour moi, Kvetch est un vaudeville et une tragédie shakespearienne, Berkoff, un Pinter qui aurait lu Pirandello... Par sa théâtralité originale, la pièce réussit à mêler ainsi politique et humour, dénonciation et sensualité. C’est une pièce qui parle du Théâtre et de la liberté folle du plateau, territoire de tous les possibles, de toutes les audaces, même de celle de dire avec les mots ce que les mots ne peuvent, et n’osent, au quotidien, formuler.
Sophie Lecarpentier
Un auteur engagé : Berkoff
Acteur, metteur en scène, auteur de nouvelles, poète, Steven Berkoff s'inspire des écrits d'Antonin Artaud, et du théâtre expérimental américain surtout le Living Theater. C’est un dissident... Il est considéré comme l'un des dramaturges les plus singuliers du théâtre d'aujourd'hui. En une dizaine de pièces, il a composé une œuvre iconoclaste, âpre, violente, impudique et tonique. La question de la théâtralité et celle de l'efficacité poétique du langage sont au centre de son œuvre. La langue de Berkoff est scandaleuse. C'est une provocation. Elle libère les corps et l'imagination de l'acteur comme du spectateur. Elle épouse le flux de la vie. Elle devient énergie, pensée vive et éclats de rire.
Ses pièces de théâtre : East, Décadence, Greek, Harry's Christmas, Lunch, West, Acapulco, Kvetch, Sink the Belgrano, Massage, ont été montées dans une vingtaine de pays.
Distribution
- Metteur en Scène : Sophie Lecarpentier
- Comédien : Fabrice Cals
- Comédien : Stéphane Brel
- Comédienne : Anne Cressent
- Comédien : Julien Saada
- Musicien Live (Alto) : Bertrand Causse
- Costumes : Nathalie Saulnier
- Sons : Tom Menigault
- Lumières : Orazio Trotta
- Chorégraphe : Nathalie Herve
- Chorégraphe : Yano Latrides
Production Compagnie Eulalie.
Coproduction Espace Philippe-Auguste de Vernon.
Avec le soutien du Festival du Mot de la Charité-sur-Loire – Le Conseil régional Haute-Normandie La DRAC Haute-Normandie – L’ADAMI - La SPEDIDAM – Le Théâtre de l’Ouest Parisien de Boulogne-Billancourt – La Ménagerie de Verre de Paris dans le cadre du Studiolab.
Présenté au Théâtre du Rond-Point en février 2016
Presse
LE FIGARO – Le couple, quelle belle affaire !
Ah! rien de convenu dans Kvetch, une pièce du féroce Britannique Steven Berkoff qui date d'il y a trente ans mis en scène aujourd'hui par Sophie Lecarpentier. L'auteur, qui est aussi comédien, avait alors imaginé que le public avait accès aux pensées intimes des protagonistes. Tout en devisant plus ou moins poliment, ils disaient aussi à haute voix leurs pensées intimes le plus souvent méchantes, violentes, salaces. Le metteur en scène dirige quatre de ses camarades survoltés et n'a pas peur de la grossièreté. Stéphane Brel, Fabrice Cals, Anne Cressent, Julien Saada sont irrésistibles. Un couple, une belle-mère, des amis, des tentations, des coups de folie. Un festival de rire accueille ce déploiement athlétique, gamin et cauchemardesque. Les sons si purs de l'alto de Bertrand Causse nous rappellent que le monde est beau. Armelle Héliot
FRANCE INTER
Le Kvetch intelligent de Sophie Lecarpentier avec de petites touches de mise en scène exquises, un délice. Tweet de Stephane Capron
TELERAMA SORTIR
La pièce de Steven Berkoff et la mise en scène de Sophie Lecarpentier sont pleines d’humour et d’énergie. On assiste au dîner d’une famille petite bourgeoise, à une scène au lit, mais rien de réaliste n’apparaît sur le plateau. Quatre comédiens, un violoniste, cinq chaises. Le texte exprime ce qui se dit entre les personnages, ce qu’ils montrent en société. Mais dans l’instant qui suit, on voit et entend ce que le personnage pense vraiment, ce qu’il cache. La différence entre le carcan dans lequel les personnages sont enfermés et les pulsions, quasiment chorégraphiées, qu’ils expriment dans la vitalité de leur corps, est hilarante. Engagement physique, énergie, appui de la mise en scène sur la musique du violoniste... Tout fait de ce spectacle une belle réussite. Sylviane Bernard-Gresh
SCENEWEB _ Le Kvetch subtil de Sophie Lecarpentier
Sophie Lecarpentier met en scène avec beaucoup de finesse ce texte cocasse de l’américain Steven Berkoff. Elle parvient à rendre délicieuse une langue qui est souvent triviale. Un exploit.
Sophie Lecarpentier a su traduire l’esprit de cette comédie satirique avec beaucoup de finesse et de sensibilité. Les quatre comédiens sont virevoltants et aériens. Ils sont guidés par le violon alto de Bertrand Causse qui donne le tempo à ce spectacle exquis. Stéphane CAPRON
THEATRE DU BLOG
Mélange baroque d’argot, de grossièretés et de pure poésie, l’écriture de Steven Berkoff instille érotisme, cruauté, émotion. (...) Plus qu’une simple provocation, la pièce s’attaque joyeusement à nos préjugés, nos hypocrisies. (...) S o p h i e Lecarpentier a bien saisi l’ambigüité de la pièce et nous en livre une version intelligente et fine. Elle joue sur la théâtralité de la langue et se permet aussi bien des audaces dans la direction d’acteurs, en leur offrant une partition jubilatoire. Ils ne tirent jamais le spectacle vers la vulgarité, alors qu’ils auraient pu tomber dans le panneau, tant la pièce regorge d’expressions ordurières. Toujours sur le fil d’une émotion latente qui leur confère une humanité, au-delà des figures caricaturales qu’ils incarnent. (...) Une heure quinze de plaisir tonique. Mireille Davidovici