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La vie des pêcheurs est dure, sur cette plage d'hiver. Pour quelques lires, Gelsomina est vendue par sa mère à Zampano, un lutteur de foire. L'adolescente lunaire suit le colosse sur la strada (« la route »), et l'assiste dans ses spectacles. Incapable de s'avouer son amour pour elle, Zampano la maltraite. Gelsomina rencontre alors le Fou, un acrobate qui mange des spaghettis sur un fil tendu entre deux immeubles...
De ce film mythique, le critique André Bazin disait : « C'est l'histoire d'un homme qui apprend à pleurer... » Ces larmes refoulées - pas par le spectateur - sont le fruit d'une rencontre improbable entre deux vagabonds en quête d'identité. Zampano, l'hercule renfrogné, gagne sa triste vie avec un numéro de cirque très métaphorique : le coeur convulsé sous les chaînes encerclant sa poitrine, il retient son souffle pour tout faire éclater. Gelsomina, sylphe fragile, survit grâce à son mimétisme : incapable d'imposer au monde sa personnalité, elle singe la démarche des bonnes soeurs, ou plie ses bras pour ressembler à un petit arbre.
Dépourvu de scénario écrasant, entièrement tourné en extérieur dans des conditions infernales, ce film itinérant vogue au gré de la composition époustouflante des acteurs. Brusque et hâbleur, Anthony Quinn rend caressante sa violence incontrôlée. Avec sa cape de deuil et sa « face d'artichaut », Giulietta Masina oscille entre Charlie Chaplin et Stan Laurel. Roulements de tambour et trépignements : voilà un chef-d'oeuvre.
Marine Landrot - Télérama - 2010