Note d'intention - Robert Bouvier
Ce texte est composé en 1930 alors que François d’Assise paraît en 1959. On peut s’amuser du fait que Delteil sanctifie le séducteur et humanise le saint. Les deux romans fonctionnent comme un diptyque. Ce que j’ai retenu dans mon adaptation de Saint don Juan tourne beaucoup autour de son enfance.
Delteil écrit que tout s’élucide par l’enfance. Son Don Juan vit enfant des chocs, des traumatismes qui le marqueront profondément dans son rapport aux femmes. Sa découverte du plaisir est intimement liée à celle de la mort et son dépucelage par des lavandières évoque une scène de viol « un incroyable spectacle, s’il n’y avait les Ménades antiques, et cette loi mystérieuse : la nature a horreur de la virginité ». Delteil peint un Don Juan possédé, traversé par ses passions aveugles, presque victime de lui-même et il n’a rien d’un stratège cynique et désabusé. L’auteur laisse entrevoir la vulnérabilité, l’immaturité, les pulsions contradictoires de cet homme, son angoisse dans la recherche désespérée de l’amour et du plaisir. Les paniques, les vertiges, les aveuglements volontaires (et pas forcément éblouis), la soif d’infini dans la sensualité et l’extrême lucidité, la dérision devant le plaisir (cet excès de réel).
Ces élans farouches et indomptés, cette ivresse d’un abandon entier, absolu, cet appel fou à ce qui transcende l’amour, tout cela le rapproche, je trouve de François d’Assise.
« Je nomme saint qui aime et héros qui est aimé » écrit Delteil. Or ces deux hommes fuient devant une certaine réalité de la relation amoureuse. François d’Assise a aimé Claire, il a aimé Jacqueline et Delteil aime à insister sur la sensualité du poverello qui parle à son sexe comme à son frère âne, sait qu’il règne mais fait en sorte qu’il ne gouverne pas ! Les deux hommes sont incapables d’aimer une seule femme, ils aiment in excelsis. Il y a chez eux un refus de se résigner à la finitude des aspirations terrestres, et même un besoin de défier Dieu d’une certaine manière. S’ils ferment les yeux pour chavirer dans les sens (l’essence ?), ils les rouvrent bien vite pour regarder cet amour qui brûle. Car « l’amour brûle, c’est la sainteté » écrit encore Delteil. J’aime beaucoup aussi cette citation de Delteil : « l’innocence, voilà ma boussole, l’instinct, voilà mon ange gardien ». Et de conclure : « Je suis chrétien, voyez mes ailes, je suis païen, voyez mon cul ! ».
Dans ce Saint Don Juan, Delteil entrelace l’univers espagnol de Juan et le paysage ardois de Notre-Dame de Marceilles (sic), le dix-septième siècle et les anachronismes du XXème pour saluer dans son paradis idéal ses amis Chagall, Delaunay, Giono, Montherlant. Son Saint Don Juan recherche « ce pont entre la sensualité et Dieu ».
Robert Bouvier
Diplômé de l’école supérieure du Théâtre National de Strasbourg, Robert Bouvier a signé les mises en scène de Peepshow dans les alpes, Saint Dom Juan, Artemisia, Une lune pour les déshérités, Roi de rien, Cinq Hommes, Les gloutons, Les estivants, Les acteurs de bonne foi, Doute, Les deux gentilshommes de Vérone, Le chant du cygne, Kvetch... ainsi que plusieurs opéras Don Carlo, Faust, Don Giovanni, Mefistofele, La damnation de Faust, Le mariage secret, Tosca, L’élixir d’amour, Aida... Il a aussi réalisé trois courts et un moyen métrages et écrit plusieurs adaptations de textes pour la scène ainsi que des scénarios. Également comédien, il a joué dans une quarantaine de spectacles (mis en scène par Matthias Langhoff, Jean-Louis Hourdin, Irina Brook, Hervé Loichemol, Adel Hakim, Charles Tordjman, François Verret, Michael Delaunoy, Laurence Mayor, Françoise Courvoisier, Robert Sandoz, Gilles Bouillon, Fabrice Melquiot...) et une vingtaine de films (réalisés par Alain Tanner, Denis Amar, Michel Rodde, Claude Champion, Francis Reusser, Alain Resnais...). Il est le directeur du Théâtre du Passage à Neuchâtel, ainsi que de la Compagnie du Passage.