NOTES D’INTENTION

J’ai rencontré Marine Bachelot Nguyen en juin 2011 lors d’une performance avec la compagnie Dérézo. Il s’agissait, pour une équipe constituée au hasard d’un tirage au sort (1 auteur, 1 metteur en scène, 1 comédien), de réaliser en 24 heures un spectacle. J’ai beaucoup apprécié l’écriture dynamique de Marine.

Lorsque j’ai éprouvé le désir de mettre en chantier un travail autour des thématiques que je développerai ci-dessous, c’est très instinctivement que j’ai pensé à associer Marine à l’écriture. J’aime son militantisme et son écriture engagée.

Dans la droite lignée de la complicité qui me lie à André Markowicz depuis 10 ans autour de la mise en scène de ses traductions des pièces du répertoire, je souhaite désormais m’associer à un auteur en co-écriture. Je veux pouvoir dialoguer à chaque étape de travail, chaque nœud dramaturgique. Marine Bachelot Nguyen sera présente aux répétitions ; elle m’accompagnera sur la dramaturgie, pourra réécrire si besoin quelques détails, accompagner la comédienne dans l’orientation esthétique de son interprétation.

Le sujet de la pièce me tient à cœur depuis très longtemps. C’est celui de la dérive. Comment de cercle d’amis en cercle d’amis une personne peut dévier de son chemin, de ses idéologies politiques et morales premières. Et ainsi devenir quelqu’un d’autre. Je trouve cette notion de glissement de terrain très intéressante à porter sur un plateau.

Deux évènements ont déclenché en moi la nécessité de travailler sur ce sujet aujourd’hui :

- le jour où il m’a fallu présenter une pièce d’identité pour aller récupérer ma fille à l’école maternelle en face du TNB car la rue était bloquée à cause des manifestations de Civitas à l’occasion des représentations du spectacle de Roméo Castellucci Sur le concept du visage du fils de Dieu.

- le suicide en juin 2014 de Peter, jeune gay, membre de l’association Le Refuge.

Après des années à mettre en scène des œuvres du répertoire, j’ai ressenti l’urgence de parler des clivages qui sous-tendent notre société, de toutes ces haines qui deviennent ordinaires.

Au départ, je souhaitais travailler une adaptation du Bouc de Fassbinder (traitant du racisme dans une petite communauté) en y intégrant le monologue de cette femme modérée qui, par ses fréquentations, devient une militante très active pour La manif pour tous. C’est ainsi que nous avons commencé le travail de documentation et d’imprégnation du sujet avec Marine Bachelot Nguyen. Puis la nécessité de faire de ce monologue un spectacle à part entière s’est imposée à moi.

David Gauchard

David Gauchard, metteur en scène de L’unijambiste, m’a proposé d’imaginer la parole théâtrale, le monologue d’une femme : l’histoire d’une femme, d’une mère de famille, qui, par concours de circonstances plus que par choix, se retrouve partie prenante des mouvements catholiques traditionalistes que l’on a vu ces dernières années se dresser contre le mariage pour tous, lutter contre le droit à l’IVG, ou encore manifester contre certains spectacles de théâtre public soi-disant infâmants pour la religion.

Ce qui m’intéresse particulièrement ici, c’est comment, au nom de la religion et au nom de Dieu, on peut en arriver à des discours de haine, de rejet et de mépris violent des autres, de paranoïa sociale, d’aveuglement intellectuel et spirituel. Ceci chez des catégories de population privilégiées, qui n’ont nullement à souffrir de pauvreté économique, de rejet culturel, d’humiliation ou d’exclusion sociales.

Mon défi d’auteure est donc d’entrer dans la logique d’un tel personnage, sans diabolisation ou condamnation préalable, en m’intéressant au processus qui se joue à travers. Faire émerger la parole de cette figure féminine, la faire exister dramaturgiquement, théâtralement, politiquement. Donner chair et voix au parcours d’une femme qui a glissé au quotidien, sans complètement s’en rendre compte, vers les franges et les idées les plus réactionnaires de la société.

L’histoire que je me propose d’écrire est celle d’une femme de nos jours. Croyante, issue d’une petite-bourgeoisie provinciale de Bretagne, elle est amenée, par l’intermédiaire de son mari et de leurs nouveaux cercles de connaissances, à fréquenter des catholiques traditionalistes, dont le discours a une radicalité qui l’attire. Par souci d’intégration et d’élévation sociale, elle en vient à fréquenter plus assidument la messe, à aller à des réunions militantes anti-avortement ou anti-mariage homosexuel, à participer activement à des manifestations, à s’investir dans leur organisation. Elle est de ceux et celles qui font procession contre le spectacle de Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu, à l’appel de Civitas, dans les rues de la capitale bretonne. Elle sera aussi parmi les Veilleurs, entamant chants liturgiques en cercle sur les places publiques pour protester contre la loi du mariage pour tous. Ou encore parmi les militants anti gender. Elle réussira à embrigader ses proches et ses enfants dans ce qu’elle considère comme l’aventure la plus excitante de sa vie.

Enivrée et aveuglée, dépassée et frénésique, elle ne verra pas venir, malgré les alertes, le suicide de son fils, victime sacrificielle et silencieuse de cette histoire.

J’imagine sa parole, sous forme de récit-confession, nette, nerveuse et impudique. Sans regret ou remords explicites, elle va livrer au public le récit de son ascension et de sa chute.

C’est sans doute une femme banale, qui recherche les expériences. C’est une mère et une épouse qui veut s’affirmer autrement. Elle aspire à l’existence, elle aspire à la pureté. C’est une femme en quête de Dieu et de repères, dans la décadence contemporaine.

C’est une révoltée, capable d’éructation et de douceur. C’est une femme qui nous parle de ses sensations sexuelles, après la messe comme après la manif. C’est une angoissée, travaillée par la peur de l’Autre, hantée par l’idée du péché. Le prochain ne lui est pas entré dans la chair. Elle prône sincèrement l’amour de Dieu, et pourtant elle suinte la haine. Elle voudrait rendre justice, elle est prête à saisir le glaive. Suivre la foule, appartenir au groupe, combattre les manifestations de ce qu’elle nomme le Mal lui procurent un rassurement infini. Elle veut des certitudes et du dépassement. Elle est pétrie de contradictions, d’affects, d’échafaudages délirants et rationnels. Elle va monter très haut, puis tomber au fin fond de l’abîme. C’est une femme banale, qui pourrait être notre voisine ou notre soeur. Elle nous est à la fois terriblement familière et lointaine.

Le fils qu’évoque le titre de la pièce est aussi bien le fils de cette femme (l’adolescent qui mourra faute d’avoir été entendu par sa mère, par sa famille, par sa communauté), mais aussi le fils de Dieu si puissamment évoqué dans le spectacle de Roméo Castelluci.

J’imagine cette femme hantée, habitée par des voix. Celles de théologiens et de maîtres à penser, celle de son propre fils qui tente de lui parler sans que jamais elle ne l’entende, celle de Dieu ou du Christ qui parfois viennent lui parler à l’oreille, etc. Le monologue pourra donc être troué par ces voix, injonctions, fragments de paroles.

Si le parti pris de la pièce Le fils est bien celui d’une fiction, cette fiction aura un fort ancrage documentaire, comme très souvent dans mes pièces. Un travail de recherche sur les mouvements catholiques intégristes en France et sur d’autres mouvements plus policés et ambigus, accompagne et précède l’écriture du texte. Car il me semble important que le parcours de cette femme et de ses proches s’inscrive dans une réalité historique et politique contemporaine précise.

Et si le tragique intervient dans la fiction, ce n’est pas pour célébrer l’inéluctable, ni provoquer une catharsis. Du théâtre, il faut ressortir la conscience aiguisée, intranquillle, et armée.

Marine Bachelot Nguyen, février 2015

Vidéos

Distribution
  • Auteure : Marine Bachelot Nguyen
  • Idée originale et mise en scène : David Gauchard
  • Avec
  • Emmanuelle Hiron
  • Collaboration artistique : Nicolas Petisoff
  • Création lumière : Christophe Rouffy
  • Régie lumière : Alice Gill-Kahn
  • Son : Denis Malard
  • Musique : Olivier Mellano
  • Enregistrement clavecin : Bertrand Cuiller
  • Voix : Benjamin Grenat-Labonne
  • Réalisation du décor : Ateliers du Théâtre de l'Union

Production : L’unijambiste Diffusion, La Magnanerie.
Coproduction : Espace Malraux, scène nationale de Chambéry et de la Savoie, Théâtre de l’Union, Centre dramatique national du Limousin.
Soutiens : Théâtre Expression 7, Limoges – Théâtre de Poche, scène de territoire Bretagne Romantique & Val d’Ille, Hédé – L’Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande – Fonds SACD Musique de Scène.

Presse

Succès du Off d'Avignon en 2017, Le Fils met les pieds dans le plat d'une question douloureuse. Complexe et se refusant à toute forme de manichéisme, le spectacle s'adresse à un large public. Emmanuelle Bouchez - Télérama

Représentations

Théâtre de l'Usine, Saint-Céré
  • jeudi 23 janvier 2020 19h00
Tarifs

Tarif B Placement libre
Plein 16 €
Découverte / Réduit 14 €
Passion / Réduit + 11 €
Jeune 5 €

Tarif découverte / réduit : abonnés découverte, groupe à partir de 10 personnes, comités d'entreprises.
Tarif passion / réduit + : abonnés passion, demandeurs d'emploi, intermittents du spectacle, personnes en situation de handicap.
Tarif Jeunes : moins de 18 ans et étudiants de moins de 25 ans.

Abonnement Découverte : abonnement nominatif 4 spectacles minimum. Cet abonnement vous donne droit au tarif découverte.
Abonnement Passion : abonnement nominatif 8 spectacles minimum. Cet abonnement vous donne droit au tarif passion.
Le + de l’abonnement Passion : faites découvrir le Théâtre de l’Usine à un de vos ami, il profite du tarif réduit sur un des spectacles de votre abonnement !

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